L’art est ma lucarne de liberté

L’art est ma lucarne de liberté

Head Connexion (planche num.1), par Karine Hayek (PiKam)

Une entrevue avec l’artiste visuelle KARINE HAYEK (PiKam).

Arleb par Nabad – Parlez-nous de vous…                                     

Karine Hayek – Mon parcours est quelque peu atypique. J’ai commencé par des études artistiques à l’ESAG-France pour enchaîner ensuite à l’Alba-Liban, section Arts Plastiques, tout en prenant des cours du soir de stylisme à l’Institut Technique Shoueiter, pour finalement atterrir, par je ne sais quel clin d’œil que la vie vous reserve, dans le journalisme à l’ICN en tant que Reporter Télévisé, ainsi qu’à divers autres médias, dont L’Orient-Le-Jour (Campus), le tout jumelé à des stages à la CFPJ (Centre de Formation Professionnel pour Journalistes à Paris), pendant 20 ans. 

De sérieux problèmes de santé survenus il y a 3 ans m’ont recentrée sur ma passion initiale pour la peinture, c’est alors que je me suis dédiée à fond à l’art visuel, avec l’aide ponctuelle du peintre Youssef Aoun à travers des échanges artistiques, et à divers ateliers. Je signe mes créations PiKam.

Arleb par Nabad – Quelle est l’expérience qui a le plus influencé votre parcours artistique ?

Karine Hayek – Dans sa lettre à un jeune poète R.M. Rilke affirme : “Une œuvre d’art n’a de la valeur que lorsqu’elle est née d’une nécessité”. Cette nécessité de créer a le goût d’allégresse dans mon vécu actuel, car grâce à la création je me sens déchargée de la lourdeur de ma maladie. Je n’aime pas en parler, alors je conte cette dure épreuve dans mes dessins et peintures car c’est une étape majeure dans mon parcours artistique. 

Arleb par Nabad – Sur quels sujets ou thèmes travaillez-vous ? Quels sont les messages essentiels qui sont promus à travers vos œuvres ?

Karine Hayek – Que ce soit dans mes écrits et maintenant dans l’art j’ai toujours eu comme sujet de prédilection l’humain.  Actuellement c’est l’être vivant autant que l’humain et sa connexion avec l’Intemporel, l’Infini et le Cosmos.
Les lignes, les formes, et l’organisation de l’espace contribuent à réaliser ce cheminement. Ils sont les outils pour transmettre l’émotion dans l’œuvre, et exécuter le vécu de ce qui se passe entre la tête le cœur et essentiellement l’âme. Mais je cherche aussi à exprimer un regard diffèrent dans ce qu’il y a de plus fondamental dans notre vécu au quotidien. Repousser les barrières et les préétablis, s’interroger, telle est actuellement ma quête. 

Arleb par Nabad – Parlez-nous de votre processus créatif…

Karine Hayek – Vibrer avec les émotions, ressentir les énergies en les traduisant sur le papier sont les éléments principaux de mon processus créatif. Tout dans la nature peut être pour moi une source d’inspiration et d’interprétation. C’est ainsi que je griffonne tout ce qui me parle sur un carnet. Mais finalement ce sont les mêmes sujets qui m’interpellent et qui reviennent sur le papier. Mon autre source d’inspiration est la philosophie de la peinture que j’écoute parfois en Podcast pendant que travaille, car écouter des analyses sur le processus créatif des grands maîtres me pousse à m’interroger sur le pourquoi du comment de mes créations, et à me dépasser pour me rapprocher de ma compréhension de l’art, de comment je l’interprète, et bien sûr, de ce que je cherche à véhiculer comme message.

Arleb par Nabad – Quel a été l’impact des explosions du port de Beyrouth (4 août 2020) sur votre art ?

Karine Hayek – Définitivement il y a un avant et un après 4 août. Face à cette arme de destruction massive qui a détruit l’âme de Beyrouth, l’image la plus marquante pour moi est celle de tous ces jeunes qui se sont rassemblés pour venir en aide, déblayer et donner de l’espoir. Quelle belle leçon que nos jeunes ont donnée, alors que l’État sous toutes ses formes était aux abonnés absents.

Sur le plan artistique, c’est une nouvelle série de dessins et mix-médias qui a germé des décombres de ce jour funeste.

Arleb par Nabad – Quels sont, selon vous, les rôles des arts et de la culture dans le changement social, économique, environnemental ou politique ? Et en thérapie ?

Karine Hayek – L’art peut être un vecteur formidable de changement dans tous ces domaines et cela, grâce aux remises en question à travers le regard de l’artiste. Les arts et la culture sont les pulsions de la société… Ils peuvent être des éléments rassembleurs autour d’une cause… ou d’une tragédie; en témoigne la recrudescence des créations artistiques après la date fatidique du 4 août. 

En ce qui concerne le rôle de l’art en thérapie, il est pour moi outil de libération. Mes créations sont ma bouée de sauvetage, et cela depuis le début de ma maladie. C’est incroyable cette faculté de sentir le temps comme suspendu dès que je rentre dans les entrailles de ma bulle artistique… Plus je suis prisonnière dans mon corps, plus je ressens une pulsion de créer. C’est ma lucarne de liberté, comme une onde de lumière qui m’envahit et me fait tout oublier.

Arleb par Nabad – Quels sont, selon vous, les principaux défis/obstacles auxquels sont confronté les artistes aujourd’hui?                                                                                                                                   

Karine Hayek – Le Liban a toujours été un hub et le phare du Moyen-Orient en termes de création dans bien des domaines artistiques. La crise socio-économique et politique dans laquelle nous sommes plongés est l’obstacle majeur pour les artistes, déjà fragilisés par la non-reconnaissance du statut d’artiste à part entière. Pour beaucoup, le seul moyen de garder la tête hors de l’eau est de se tourner vers les communautés et les associations culturelles et artistiques, mais ce n’est pas assez. 

Face à une nomenclature politicienne pourrissante et corrompue depuis des décennies, l’art est non seulement un acte de résilience mais aussi un acte de défi et de résistance.